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étéSexe, dunes et transgression : le cruising ou le désir gay en liberté

Par Morgan Crochet le 14/08/2023
cruising

[Article à retrouver dans le têtu· de l'été disponible chez vos marchands de journaux, ou sur abonnement] Les bois, les aires d'autoroute, mais aussi les quais, certains cimetières… autant de lieux propices aux étreintes d'inconnus à la recherche de sexe rapide ou d'étreintes éphémères. Une pratique gay, le cruising, qui dit beaucoup de nos désirs.

Les lumières de la ville se font de plus en plus lointaines à mesure que le bruit du large augmente. À cet endroit, les dunes, recouvertes de végétation, laissent apparaître des sentiers qu’il s’agit d’emprunter, sans trébucher, tout en restant alerte, afin de garantir sa sécurité ou de ne pas louper quelque chose. À mesure que les yeux s’habituent à l’obscurité, des silhouettes se dessinent sous une lune blême.

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Beaucoup d’entre nous n’iront jamais jusque-là. Dans ces dunes. Dans l’obscurité humide de ce bord de mer. Ceux-là observeront peut-être de loin, à l’occasion d’un bain de minuit avec quelques amis, en se disant que, seul, ils se seraient probablement aventurés là où les buissons murmurent. La vérité, c’est qu’ils n’auraient pas osé s’approcher. Par peur de l’inconnu, par crainte de ne plaire à personne, ou que personne ne leur plaise, ou encore de faire une mauvaise rencontre, dans ces lieux où l’on raconte que “ça drague” à la nuit tombée. En fait, ça ne drague pas, non, ça cruise. Ici l’idée n’est pas de se faire des amis, de trouver l’âme sœur ni même quelqu’un à ramener chez soi, dans son univers – même si cela arrive quelquefois. Non, ici on consomme sur place. On le fait là, avec quelqu’un qui ne nous aurait peut-être même pas plu ailleurs. Dans cette unité de lieu, de temps et de désir quasi mythologique, indissociable du désir homosexuel, aussi vieux que les hommes.

Une histoire de désir

Chasseurs, voyeurs, lopes… Un jeune à capuche attend dans sa voiture, prêt à se mettre à quatre pattes. Quand ça arrive, il laisse l’autre lui baisser son jean. D’autres choisissent d‘agir en plein jour, dans des endroits plus discrets, et s’offrent dans leur caisse à des bears grisonnants qui viennent leur taper dedans, ou jouer avec ce qu’ils ont entre les jambes. Et puis il y a ceux qui forment des regroupements dans les bois, et s’enculent chacun leur tour sous le regard des plus timides qui s’éloignent et s’approchent à l’envi, main sur le paquet ou queue à la main, inquiets à l’idée de se faire surprendre.

Au cœur des villes, dans des parcs, au bord de canaux, dans des cimetières aussi, des parkings… Beaucoup de ces lieux ont disparu, effacés par des municipalités qui, lorsqu’elles ne peuvent les faire disparaître, demandent aux forces de l’ordre d’y effectuer des rondes. La sexualité, c’est chez soi. Évidemment. Sauf quand on ne désire rien d’autre que ces rencontres éphémères et ces quelques mots échangés d’une voix sourde, sauf quand on ne désire rien d’autre que faire ce qu’on ne devrait pas faire, là où l’on ne devrait pas être, par exemple dans ces régions retrouvées l’été et qui nous ont tant frustrés à l’adolescence. La transgression grise. L’anonymat aussi. Ce qui a lieu ici reste ici. D’ailleurs, on touchera ou se laissera toucher, qu’importe. L’essentiel est d’en être, d’être entre garçons qui se comprennent et apprécient la solitude de ces balades, ou rompent leur isolement en cherchant la présence, même furtive, de parfaits inconnus. Parce que c’est notre talent, d’en être capable, et d’y parvenir en silence. De rejoindre une aire d’autoroute fréquentée par des routiers et des pères de famille. Car c’est notre droit, aussi, et notre plaisir, de caresser ces hommes-là. De nous s’offrir les uns aux autres. La beauté du cruising est toute entière dans la recherche de ce frisson, dans l’affirmation d’une liberté de transgresser qui ne nuit à personne, et dans la volonté irrépressible de prendre part à ce ballet d’hommes mus par leur désir de baiser sous le soleil. De jouir sous la lune. De vivre.

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Crédit illustration : photographie Élie Vilette