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interview"Adieu triste amour" : rencontre avec l'autrice de BD Mirion Malle

Par Tessa Lanney le 21/04/2022
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Mirion Malle nous plonge à nouveau, avec Adieu triste amour, dans un univers doux et militant. L'autrice de BD, lesbienne revendiquée, a rencontré têtu· pour parler ruptures, sororité et hétéronormativité.

Loin de nous plonger dans la mélancolie, Adieu triste amour, la nouvelle bande dessinée de Mirion Malle sortie le 1er avril, nous enveloppe plutôt d’une couverture réconfortante, tissée de sororité. Puisqu’il est des ruptures qui font mal – on ne va pas se mentir –, il en est d’autres qui libèrent. Une tranche de vie ancrée dans le "banal" qui fait du bien, sublimée par la justesse du trait de Mirion Malle dont la première BD fictionnelle, C'est comme ça que je disparais, avait été remarquée en 2020.

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Dans Adieu triste amour, Mirion Malle nous conte l'histoire de Cléo, une autrice de BD qui vit à Montréal – comme elle –, un choix qui n'est pas directement le sien puisqu'elle y a suivi son chum. À première vue, aucun nuage ne semble ternir le tableau, mais sa rencontre avec Farah, qui semble avoir un passif douloureux avec le petit ami de Cléo, sème le doute sur leur relation. Non, Cléo n'est pas une jeune femme désabusée qui tombe de haut et refuse de voir l'évidence, mais bien une féministe convaincue qui connaît les rudiments des oppressions systémiques influençant les rapports sociaux.

Lesbienne au vécu de femme hétéro

Nous retrouvons Mirion Malle dans le café de la librairie où elle présentera, plus tard dans la soirée, sa nouvelle BD. Après délibération, le café se transforme en bière, et surtout en discussion passionnante autour des relations hommes-femmes, des dynamiques de groupe et de sortie de l’hétérosexualité, le tout agrémenté de sociologie et d’anecdotes.

"Cléo est féministe et ne voit pas les femmes comme des rivales. Elle les croit."

Il tenait à coeur à l'autrice de parler de sororité. "Il y a une dissonance parce qu'elle aime son mec, mais Cléo est féministe et ne voit pas les femmes comme des rivales. Elle les croit, détaille la jeune femme. Elle et Farah ont un terreau commun et alors même lorsque son couple est concerné, elle ne met pas sa parole en doute." C'est ce recul par rapport aux hommes qui lui permet une "prise de conscience" sur les anomalies touchant son propre couple.

Cette dissonance n'est pas étrangère à Mirion Malle qui s'inspire notamment de ses expériences. Non, il ne s'agit pas d'une autobiographie même si la profession de Cléo pourrait le laisser croire. Juste une petite blague à l'instar de Taylor Swift dans sa chanson "Blank Space" où elle fait semblant d'être une "ex folle" car c'est ce qui se disait d'elle à l'époque. Mirion entonne même les premières notes du refrain pour être sûre qu'on ait la référence. Mais même si elle écrit ce livre en tant que lesbienne – elle "aime ce mot et le revendique" –, elle a aussi "vécu en tant que femme hétéro". Elle a d'ailleurs été en proie à la même dissonance que son personnage principal. "J'étais en maîtrise de socio et d'études féministes, j'étudiais la charge mentale et pourtant, à la maison, je faisais la cuisine, le ménage, et mon mec de l'époque piquait une crise dès que je ne m'occupais pas assez de lui à son goût", raconte-t-elle, l'air toujours étonné de cette phase de sa vie.

Mirion Malle a une passion pour le banal, le "moyen". "J'avais envie de déceler le traumatisant dans le banal", décrypte-t-elle en faisant référence au petit ami de Cléo qui, plus jeune, harcelait une de ses camarades qui l'obsédait. C'est alors qu'elle pose une question essentielle : à quel moment peut-on dire que les bornes ont été dépassées ? S’il y a bien une chose dont on se rend compte avec Adieu triste amour, c’est que cela dépend grandement de qui a placé les bornes en question… Un dragueur lourd pour certain·es s'avérera ainsi un vrai harceleur pour d'autres.

Orphée et Eurydice comme point de départ

"C’est déjà traumatisant quand on s'arrête au stade du harcèlement, parce qu’il y a cette peur ancrée, parce qu’on nous a enseigné que ça pouvait aller bien plus loin. C’est suffisant mais c’est souvent minimisé, déplore l'autrice. Pour être pris·e au sérieux, il faut parler d'un événement dramatique." En témoignent les phrases éculées : "On était jeunes", "on était cons", "rien de grave"… À aucun moment le concerné ne nie les faits, mais la dédramatisation est totale. D'ailleurs, quand la dessinatrice montre ses premières planches à son entourage féminin, toutes sont persuadées de reconnaître une connaissance masculine différente, "mais non, c’est juste que ça arrive tout le temps".

"Je ne pense pas que le neutre soit le masculin cis hétéro."

L'autrice souhaitait avant tout s'adresser aux femmes et aux lesbiennes : "Je ne pense pas que le neutre soit le masculin cis hétéro. Se focaliser uniquement sur eux est à mon sens bien plus excluant." Marquant une pause, elle en profite pour rapprocher son expérience du texte d'Adrienne Rich sur l'hétérosexualité compulsive et l'existence lesbienne. Pour cette dernière, la question n'est pas de savoir si une relation hétéro peut être épanouissante, "le problème de l'hétérosexualité comme système, c'est que le bonheur et le bien-être des femmes dépendent de leur chance et du hasard, de si elles tombent sur un bon gars ou pas. Ça ne devrait simplement pas être le cas."

Tout commence pour elle avec un attrait d'enfance pour la mythologie, le mythe d'Orphée et Eurydice, puis le visionnage de Portrait de la jeune fille en feu, énumère-t-elle sourire aux lèvres. "Je me suis dit que ce serait fun, une version d’Orphée et Eurydice où c’est Eurydice qui décide de s’en aller, développe-t-elle. Puis j’ai été voir Portrait de la jeune fille en feu et c’est justement la seule version où Eurydice et Orphée sont égaux, où son destin à elle n’est pas qu’une conséquence de ses actes à lui." Bien loin d'elle l'idée de tomber dans une interprétation littérale. Elle préfère se demander tout naturellement : "Si elle s'en va, où va-t-elle ?" La question est vite répondue : elle va voir une communauté de femmes, qui plus est une communauté lesbienne.

La sortie de l'hétérosexualité comme moyen de salut ?

Pourtant, elle ne voit pas son livre comme une injonction à sortir de l'hétérosexualité. "Je comprends bien qu'il ne suffit pas de dire 'go lesbians', c'est plus compliqué que ça, le message porte plus d'une question d'exigence concernant ses valeurs, de ne pas placer l'amour au dessus de ses principes", argumente-t-elle. D'autant que non, toutes les relations lesbiennes ne sont pas parfaites. "L'intrigue ne se résume pas aux méchants hétéros contre les gentilles lebiennes, je voulais surtout mettre en scène un groupe positif en opposition à l'entourage de Cléo au début de la BD qui est dysfonctionnel." En effet, dans le second groupe, une colocation inclusive entre lesbiennes, la communication est un principe de base. Tandis que dans le premier groupe, "tout se dit dans le dos des gens".

Il faut s'attendre à ce que le "Mirion Universe", plaisante-t-elle, s'étende encore davantage. Adieu triste amour n'est certes pas une suite à C'est comme ça que je disparais, mais ces histoires entrent dans un projet de triptyque autour d'un même thème : "La guérison". Mirion Malle a même les balbutiements de la petite dernière à venir. "C'est comme ça que je disparais portait sur la réalisation. Adieu triste amour, c'est le répit, le repos. J’avais envie de parler de la joie de se choisir, pas sous le prisme du self care mais plutôt dans l’idée de prendre du temps pour soi, pour être seule et prendre le temps de se tourner vers la dynamique de groupe que l’on a envie d’intégrer", poursuit-elle. La troisième BD devrait quant à elle tourner autour de "la justice, de la colère, tant en étant à la joyeuse". L'ambition de l'artiste étant d'offrir une écriture douce, qui ne déclenche aucun trigger chez son public.

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Crédit photo : Elle Hermé / La ville brûle