exposition"Habibi", les révolutions queers du monde arabe exposées à l'IMA à Paris

Par Themis Boudraham-Belkhadra le 26/09/2022
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De ce 27 septembre au 19 février 2023, l’Institut du monde arabe (IMA) invite 19 artistes pour représenter les identités queers dans le monde arabo-musulman.

En 2017, j’ai été bouleversé par le concert à Tunis du groupe libanais Mashrou’Leila. Son leader, Hamed Sinno, incarnait alors l’une des rares représentations de l’identité LGBTQI+ arabo-musulmane. Banlieusard queer élevé par une mère algérienne, je me suis alors rendu compte de ma profonde ignorance concernant les récits, les pensées et le sort des personnes LGBTQI+ qui vivent en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

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Vous pourriez bien vivre la même expérience en poussant la porte de l’Institut du monde arabe (IMA). Du 27 septembre au 19 février 2023, le musée nous invite à découvrir la poésie, les fantasmes, la colère et les visages de la queerness arabo-musulmane au travers de dix-neuf artistes issu·es du monde arabe et de ses diasporas. Habibi : les révolutions de l’amour s’annonce dès lors comme l’un des événements immanquables de la rentrée culturelle à Paris.

Thématiques queers dans le monde arabo-musulman

Dans leur note d’intention, les commissaires d’exposition, Élodie Bouffard, Nada Majdoub et Khalid Abdel-Hadi établissaient qu’“aujourd’hui, les thématiques queers dans l’œuvre d’artistes issus du monde arabo-musulman et de ses diasporas (…) se jouent de l’idée de la norme et notamment de celles relatives au genre. Se recoupent dans leur travail des questions de l’ordre de l’intime confrontées au politique, de manière à tisser de nouveaux modèles d’identification et de vie. En cela, les questions soulevées par le queer ne touchent pas seulement les communautés homosexuelles ou transgenres. Interrogeant la notion de normes, c’est aux sociétés dans leur ensemble qu’elles s’adressent. En imaginant des futurs queers dans la région, c’est le futur de la région en entier qui est propulsé dans un effort émancipateur et radical.”

Aux manettes de l’exposition Divas, qui retraçait les vies d’Oum Kalthoum, de Dalida, de Fairouz et de leurs pairs pour défier nos perceptions erronées de la femme arabo-musulmane, Élodie Bouffard cosigne la curation de cette nouvelle exposition révolutionnaire. À quelques jours du vernissage, elle ne cache pas son excitation : “Un projet comme celui-ci, c’est un alignement de planètes. En parallèle de l’exposition Divas, l’IMA a mis en place des forums pour donner la parole aux sociétés civiles qui participent à faire bouger la région, parmi lesquelles des chercheur·euses, des militant·es, des responsables d’associations, etc. Lors du premier forum, Khalid Abdel-Hadi est venu présenter My Kali Magazine, la première publication panarabe dédiée à la parole queer, dont il est directeur éditorial. Nous nous sommes rencontrés, et l’expo a pris forme naturellement.”

"On parle des normes, de leur déconstruction, de la pensée queer comme révolte contre une société patriarcale et capitaliste. L'IMA était l'endroit parfait pour témoigner de tout cela."

Élodie Bouffard, co-comissaire d'exposition.

Il y a une vraie communauté d’artistes à défendre, insiste-t-elle. Lorsque les artistes se positionnent de façon aussi claire sur un sujet, c’est qu’une bascule se met en place. On parle des normes, de leur déconstruction, de la pensée queer comme révolte contre une société patriarcale et capitaliste. L’IMA était l’endroit parfait pour témoigner de tout cela… Ce sont des sujets que l’on n’associe pas au monde arabe, en dépit du nombre d’artistes arabo-musulmans qui en ont fait leur axe de réflexion principal. Lorsque nous avons présenté le projet au président de l’institut, Jack Lang, il a tout de suite compris qu’il avait affaire à des artistes d’exception.”

Des artistes de tous horizons

Parmi les artistes qui dresseront leurs œuvres le long des couloirs de l’Institut, les connaisseur·euses reconnaîtront peut-être Tarek Lakhrissi, l’un des premiers à incarner cette voix d’une diaspora queer tiraillée entre les prétendus contraires de son identité. Il y présentera son court-métrage Out of the blue, un “conte psychédélique d’anticipation sociale” décrit comme “une sorte de pied de nez à la théorie du grand remplacement”. Contrainte de quitter son Afghanistan natal en 2015 après l’exécution de l’une de ses performances publiques, Kubra Khademi exposera de sublimes gouaches érotiques.

À l’affiche également, l’une des voix les plus fortes de la communauté LGBTQI+ tunisienne : l’artiste et militante Khookha McQueer, qui participait cette année à l’écriture du “premier guide de terminologie sur le genre adapté au contexte tunisien”. Il aurait fallu vous parler encore de Khaled Takreti, d’Aïcha Snoussi ou de Soufiane Ababri, mais le mieux reste de vous inviter à les découvrir sur place, dans l’enceinte toujours aussi essentielle de l’Institut du monde arabe.

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Crédit illustration : Alireza Shojaian, Sous le ciel de Shiraz, Arthur, 2022