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témoignagesNour, 35 ans : "J’adore dire que je suis lesbienne, musulmane et arabe"

Par Tom Umbdenstock le 05/05/2020
islam et homosexualité

En cette période de ramadan, Nour est avec sa famille pour célébrer leur foi commune. Elle raconte à TÊTU son cheminement entre islam et homosexualité, pour revendiquer son identité lesbienne et musulmane.

"Je suis confinée avec ma famille. Je peux donc célébrer le ramadan avec ma mère et mes soeurs. D'habitude, le ramadan est vraiment la période de l'année où j'essaie de passer du temps avec elles. Donc cela tombe plutôt bien. On ne s’est pas toujours si bien entendues. Parce que je suis lesbienne et musulmane, et qu'il m’a fallu des années avant d'accepter que je peux aimer les femmes et croire en Allah.

Mais même si l'on passe beaucoup plus de temps à discuter en ce moment, je ne parle pas de ma nouvelle copine. Pourtant ma famille sait que je suis lesbienne. Ils l’ont appris quand j’avais vingt ans. Ma grande soeur a crié, devant tout le monde, que je vivais avec une femme. C’était pas normal pour eux, de vouloir être avec une nana, de ne pas vouloir se marier et avoir des enfants. J’ai fui la maison, coupé les ponts et ils ne savaient pas où j’étais.

Pas de modèle queer

J’ai su très vite que je désirais les filles, les femmes. On a toujours considéré que j’étais un petit garçon. Je faisais beaucoup de sport, je n'étais pas très "féminine". Ça ne pose pas problème quand on est enfant. Mais quand on est très jeune et croyante, avec des désirs homos naissants, on pense très vite qu’on va crever en enfer. Je suis passée par une phase où je voulais refouler qui j’étais, attendre que ça passe. Jamais je n'avais eu un modèle ou un référent queer. 

Mais au lycée, j’ai rencontré une fille. C’était très fort. Sa famille m’avait accepté chez elle. Je voyais que c’était possible d’être à l’aise avec ses parents sur cette question. Dans la mienne, croyante et conservatrice, c'était impensable. Aucun de mes parents n'est allé à l'école. Ma mère est femme au foyer et mon père, décédé récemment, était ouvrier dans la sidérurgie, mis au chômage dans les années 1980. J'étais dépendante d'eux, financièrement, et j'avais peur d'être mise à la rue si je faisais mon coming out. Ce risque n'existe d'ailleurs pas que dans les familles musulmanes, loin de là. 

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Sujet tabou

La naissance de mon premier neveu a renoué le contact entre ma famille et moi. Mais à la maison, on ne parle toujours pas de mes amours. C’est un accord tacite, une entente, la concorde. Au mieux on aborde le sujet de loin. Des blagues trainent pour me rappeler à mon devoir manqué. “Je suis sûr qu’il y a plein d’hommes qui voudraient se marier avec toi" m'a balancé un jour l’un de mes frères. Je m’en suis accommodée. A 35 ans, je ne suis plus une enfant. Alors je compartimente. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour être adéquation avec moi-même : femme musulmane et homosexuelle. Je n’ai envie de sacrifier ni une partie ni l’autre, sinon je serais incomplète.

Pourtant, quand j’ai eu 25 ans, j'ai failli me conformer. En voyant mes proches fonder une famille, j’ai voulu faire pareil. Je me disais que c’était peut-être ça le bonheur. Je me suis mise avec un homme pendant six mois, je leur ai présenté, ils l’appréciaient. Dans l’islam, pas de sexe avant le mariage, ca m’arrangeait bien parce que je n’avais pas envie de coucher avec lui. Même si je ne m’en suis jamais privée avec les filles. Elles m’attirent trop, je ne résiste pas.

"Avant j’étais avec une personne de confession juive. Je sais, ça fait très série Netflix."

J’ai fini par le quitter, au bout de six mois. Après ce moment là,  je me suis dit “fuck off”. J’ai arrêté de mentir. J’ai commencé à faire ma vie, avoir des relations plus longues, avoir une vie professionnelle qui m’épanouit. J’ai rencontré d’autres personnes queer dans le monde arabe et musulman. Je me suis détachée d’un islam dogmatique, pour aller vers une connaissance presque scientifique et universitaire. J’ai appris l’arabe. J’ai suivi des séminaires sur la femme, le voile, l’islam. J’ai décortiqué toute son histoire. Aujourd’hui je suis doctorante en sciences humaines. J’apprécie que ma partenaire soit quelqu’un de curieux et ait une appétence pour les religions, même si elle est athée. Avant j’étais avec une personne de confession juive... Je sais, ça fait très série Netflix.

"L'Islam, c'est de l'entraide"

Quand quelqu'un utilise la religion pour me marginaliser, je lui répond qu'il n'est pas Dieu, qu'il n'a pas non plus le numéro personnel du prophète. L’Islam peut faire preuve de beaucoup de souplesse à l’égard de personnes autrefois considérés comme pêcheurs. Je ne dis pas non plus que l’islam défend ou explique l’homosexualité, mais être musulman, c’est être assez fort pour assumer ses contradictions, ses doutes. L'Islam ne peut pas être utilisé pour tuer, bannir, excommunier, semer la discorde ou la haine. L’islam m’a été inculqué comme ça : une série de valeurs d’entraide. J’ai vu les membres de ma famille, malgré leurs faibles moyens, collecter de la nourriture, de l’argent, pour les loyers ou les enterrements que d’autres ne pouvaient pas payer. Pour apaiser la douleur, il suffit de tendre l’oreille. Je n’achète pratiquement rien. C’est aussi ça l’enseignement de l’Islam. Ne pas courir après le matériel. Être heureux de ce qu’on a.

Aujourd’hui je suis détachée de ces opinions plus conservatrices. Ce n’est pas du bricolage, mais une acceptation de mon identité. J’ai tendance à penser que c’est une croyance relativement individuelle, où on peut faire fi des interprétations des uns et des autres, souvent très divergentes. Il n’y a pas de hiérarchie, seulement des clercs qui font la morale. Je ne peux pas lutter contre ce que je crois être. Mais je peux lutter pour ce que je crois juste.

"C'est le problème des autres, pas le mien"

Je fais partie du collectif Mille et Une Queer depuis fin 2018. On se bat pour montrer qu’on existe, qu’on peut être lesbiennes, arabes, musulmanes, ou étiquetées comme tel. Qu’on soit athée ou non, dans les quartiers ou non. On veut exister dans l’esprit des autres ailleurs qu’à travers les pornos. J’y trouve un espace sûr, où on peut discuter de nos difficultés, de nos trajectoires. On a toujours des combats à mener. En ce qui me concerne, j’aimerais présenter un jour ma copine à ma soeur, celle qui me comprend le mieux. Pour les autres membre de ma famille, on verra plus tard, quand le moment se présentera.

Il y a tellement de jeunes qui arrivent derrière nous avec les mêmes problèmes et pour qui je veux batailler. Je n’ai pas envie qu’ils revivent les mêmes crises existentielles que moi. Ils doivent sauver le climat, fonder une autre économie, plutôt que se demander s'ils peuvent être queer et musulman, arabe ou berbère. Après tout ce parcours, j’adore dire que je suis une lesbienne, musulmane et arabe. Ce n’est plus un problème pour moi. C’est le problème des autres, pas le mien."

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