tribuneLe climat anti-porno nuit à la santé sexuelle, alertent Act Up-Paris et la Quadrature du net

Par tribune le 04/10/2023
tribune Act Up-Paris, Quadrature du net

Faire de l'éducation sur la santé sexuelle sur le web est de plus en plus compliqué en raison des algorithmes, qui censurent les associations, dénoncent Act Up-Paris et la Quadrature du net. Alors que s'ouvrent les débats sur un projet de loi pour la régulation du numérique, les deux associations alarment également sur la collecte de données personnelles.

Ce mercredi 4 octobre, l’Assemblée nationale examine le projet de loi "visant à réguler et sécuriser l’espace numérique". Nous regrettons que les associations de santé et de santé communautaire n'aient pas été auditionnées par la commission spéciale, car de toute évidence les actions des associations de terrain vont être impactées.

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La vérification de l’âge sur les plateformes numériques pour protéger les mineur·es de l’exposition aux contenus pornographiques est difficilement applicable pour des questions opérationnelles : il n’existe à ce jour aucune solution technique permettant à la fois de contrôler l’âge des usager·es des plateformes numériques tout en protégeant leurs données sensibles. Sans dispositif technique opérant et face au constat de cet échec, les parlementaires proposent de muscler la loi en remplaçant le tribunal judiciaire par l’Arcom (ex-CSA) en lui prêtant un pouvoir de blocage administratif.

Données sensibles

Une part importante du public des associations de santé de notre collectif sont des personnes LGBTI+. Mais les procédés proposés de collecte de données personnelles en ligne des internautes peuvent s’avérer dangereux pour leur sécurité et la protection de leur vie privée. Pourtant, la loi est très claire : les données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique sont des données sensibles et doivent être protégées. Minimisée dans le débat politique, la question de la protection des données sensibles est pourtant primordiale, surtout dans une période où les actes homophobes et transphobes se multiplient.

Étant donné, d’une part, que la pornographie a une définition légale aux contours flous et n’est pas harmonisée d’un État à l’autre, et, d’autre part, que chaque plateforme en a sa propre définition, nos campagnes en ligne de prévention et d’information en santé sexuelle sont aujourd’hui, déjà, mises à mal par la censure algorithmique qui cible les contenus pornographiques. Un robot ne sait pas faire la différence entre un contenu sexuellement explicite et de la prévention en santé sexuelle. Ainsi, l’usage du mot "sexe" fait systématiquement perdre de la visibilité à nos publications, et il nous est impossible de publier sur les réseaux sociaux des vidéos montrant comment mettre un préservatif sans qu’elles soient considérées comme pornographiques. Si bien qu’une la campagne de prévention d’Act Up-Paris, qui parlait explicitement de santé sexuelle, a été censurée en 2022 par Facebook, qui l'a considérée comme de la pornographie.

Censure de la prévention

Le projet de loi SREN accentuera ces difficultés de prévention en mettant nos contenus et nos activités hors de la portée des populations que nous voulons protéger. En imposant aux plateformes, notamment les réseaux sociaux, de s’assurer que les contenus dits "pornographiques" ne soient pas accessibles à des mineur·es, les plateformes seront incitées à aller encore plus loin dans la censure – cette fois-ci d’autant plus qu’elles risqueront de lourdes sanctions.

Alors que des informations erronées circulent massivement sur les réseaux sociaux et propagent des préjugés sur la santé sexuelle, il est nécessaire que le projet de loi SREN ne nous empêche pas de remplir notre mission. Notamment auprès des jeunes, dont 67% déclarent ne pas avoir bénéficié des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. À cause des défaillances de l'Éducation nationale à remplir sa mission, internet devient alors une source d’accès à l’information incontournable en santé sexuelle pour les jeunes. On ne peut prendre le risque de les en priver. La protection des jeunes doit passer par une éducation complète à la vie sexuelle et affective, et nous regrettons que le débat politique ne porte pas davantage sur les moyens de la mettre en œuvre.

Accès aux personnes précaires

Certaines de nos associations ont développé des actions de maraudes virtuelles auprès des personnes exerçant le travail du sexe via internet. Ces actions rencontrent un succès auprès de ce public particulièrement isolé et exposé aux violences à la suite de la loi de pénalisation des clients qui, comme l’a reconnu la Cour européenne des droits de l’homme récemment, a rendu leur activité plus clandestine. Ces actions permettent de les accompagner dans leurs besoins en santé sexuelle et dans la lutte contre les violences. Les travailleuses et travailleurs du sexe sont les personnes les plus souvent victimes de censure injustifiée sur les plateformes numériques. Comment pouvons-nous alors remplir notre mission si notre public est condamné à se rendre dans les espaces les plus reculés ?

En l’état, les articles 1 et 2 du projet de loi visant à réguler et sécuriser l’espace numérique constituent un risque important pour l’accès à l’information et à la santé de tous. Nous interpellons le législateur et demandons la suppression de ces articles afin que la santé ne soit pas sacrifiée dans un débat technique.

Également signataires :

AATDS
Acceptess-T
Act Up-Paris
AIDES
BORD!EL
Cabiria
Collectif des femmes de Strasbourg-Saint-Denis
Fédération Parapluie Rouge
Grisélidis
La Quadrature du Net
Les Pétrolettes 
Médecins du Monde
Paloma
PASTT
STRASS

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Crédit photo : têtu·